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Page:Sand – La Guerre, 1859.pdf/6

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LA GUERRE

Ce matin, j’étais un poëte, un rêveur. Hier, je n’étais rien du tout, j’étais malade, abattu par la fièvre du beau et perfide mois de mai. Mon lourd sommeil s’était rempli d’un rêve monotone, obstiné. Je croyais marcher dans une foule armée, sous un ciel noir, par une nuit de raffales et de nuées. Des hommes noirs se pressaient à mes côtés, j’étais un homme noir moi-même. Nous avancions, parlant tous ensemble sans tumulte, mais avec feu, et nous nous disions tous, à chaque instant, les uns aux autres : « Avançons, serrons-nous, que personne ne s’arrête, que personne ne se retourne si ce n’est pour appeler, presser et encourager ceux que le vent et la nuit retardent. »

Et cette route sans fin était pleine, pleine à n’y pas mettre un piéton de plus. Pourtant des chariots, des canons, des chevaux, sillonnaient à chaque instant la vague humaine, et on les aidait à la traverser, et tout avançait comme par mi-