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LUCREZIA FLORIANI.

gea avec plaisir et oublia l’inexplicable effroi qui l’avait saisi quelques instants auparavant.



Il y avait eu une fête aux environs. (Page 6.)

Pendant que l’hôte leur servait le café, Salvator l’interrogea sur les habitants de la ville, et reconnut avec chagrin qu’il n’en connaissait pas un seul, et qu’il n’y avait guère moyen d’aller demander l’hospitalité dans une maison plus propre et plus paisible que la locanda.

— Ah ! dit-il, en soupirant, j’ai eu une bien bonne amie, qui était de ce pays-ci, et qui m’en avait tant parlé que cela m’a peut-être influencé à mon insu, lorsque la fantaisie d’y venir coucher m’est venue. Mais je vois bien que ma pauvre Floriani en avait gardé un souvenir poétique tout à fait dénué de réalité. Il en est ainsi de tous nos souvenirs d’enfance.

— Sans doute que Votre Excellence, dit l’hôte, qui avait écouté les paroles de Salvator, veut parler de la fameuse Floriani, celle qui, de pauvre paysanne qu’elle était, est devenue riche et célèbre dans toute l’Italie ?

— Vraiment oui, s’écria Salvator ; vous l’avez peut-être connue autrefois ici, car je ne sache pas qu’elle soit revenue dans son pays depuis qu’elle l’a quitté toute jeune ?

— Pardon, seigneurie. Elle est revenue il y a environ un an et elle y est à cette heure. Sa famille lui a tout pardonné, et ils vivent très-bien ensemble maintenant… Tenez, là-bas, sur l’autre rive du lac, vous pouvez voir d’ici la chaumière où elle a été élevée, et la jolie villa qu’elle a achetée tout à côté. Cela ne fait plus qu’une seule dépendance avec le parc et les prairies. Oh ! c’est une bonne propriété, et elle l’a payée à beaux deniers comptants, au vieux Ranieri, vous savez… l’avare ? le père de celui qui l’avait enlevée, de son premier amant ?

— Vous en savez ou vous en supposez plus long que moi sur les aventures de sa jeunesse, répondit Salvator ; moi je ne sais d’elle qu’une chose : c’est qu’elle est la femme la plus intelligente, la meilleure et la plus digne que j’ai rencontrée. Vive Dieu ! elle est donc ici ? Ah ! la bonne nouvelle ! Nous sommes sauvés, Karol ; nous allons lui demander asile, et si tu veux être aimable pour moi, tu feras connaissance, de bonne grâce, avec ma chère Floriani. Mais on ne sait pas à Milan qu’elle habite ce pays-ci ! On m’a dit que je la trouverais à Venise ou aux environs…