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JEAN ZISKA.

treize cents dans la seconde, et autant dans la troisième. « C’est pourquoi, dit un historien, on a toujours célébré l’office des martyrs en ce lieu, le 8 avril, sans que personne ait pu l’empêcher, jusqu’en 1621. »

En apprenant l’approche du vengeur, ceux de Cuttemberg allèrent au-devant de lui, avec un prêtre qui portait l’Eucharistie. Ils se mirent tous à genoux pour demander grâce, et ils l’obtinrent. Quoi qu’on en ait dit, Ziska était dirigé en tout par les conseils de la politique, et ne se livrait à ses ressentiments que lorsqu’ils lui paraissaient nécessaires au succès de son œuvre. Les mines d’argent de Cuttemberg étaient le trésor du royaume ; et Ziska, d’accord avec ceux de Prague, résolut de conserver cette province. Un prêtre taborite reprocha aux Cuttembergeois leur conduite passée, les exhorta à n’y plus retomber, et leur signifia les conditions de la paix. Tous ceux qui voudraient changer de religion seraient traités en frères ; tous ceux qui ne le voudraient pas auraient trois mois pour vendre leurs biens et se retirer où bon leur semblerait. Il est triste de dire que la clémence de Ziska ne lui profita pas, et qu’il fut forcé de l’abjurer plus tard. Il est évident que, dans la marche politique qu’il s’était tracée, tout mouvement de pitié devenait une faute.

Vers cette époque, Ziska commença à sentir son autorité débordée par le zèle farouche de ses Taborites. Il les avait dominés jusque-là avec une grande habileté. Aux approches du premier siége de Prague, lorsque la nation ne connaissait pas encore bien ses forces, et voyait arriver, avec une rage mêlée de terreur, la nombreuse armée de Sigismond, Ziska, comprenant bien que le zèle religieux de Tabor pouvait seul donner l’élan nécessaire à une résistance désespérée, avait favorisé cet élan, et avait paru le partager entièrement. À cette époque de fièvre et d’angoisse, on l’avait vu revêtir le caractère de prêtre, afin d’imprimer plus d’autorité à son commandement. Il s’était fait taborite en apparence. Il avait administré lui-même la communion, il avait prêché et prophétisé comme les apôtres de Tabor et des villes sacrées. Après la défaite et la fuite de l’empereur, et durant les conférences pour la religion dont nous avons parlé plus haut, Ziska avait vu son influence dans les affaires et dans les conseils de Prague, très-ébranlée par son essai de taborisme. Il en avait été réprimandé par le clergé calixtin ; et sans se prononcer contre les articles taborites incriminés, il avait adhéré, plutôt sous main qu’ostensiblement, aux quatre articles dont les Hussites modérés ne voulaient point sortir. Depuis cette époque, il demeura calixtin, et se fit toujours dire les offices selon les missels et administrer la communion par un prêtre calixtin, qui ne le quittait pas et qui officiait auprès de sa personne en habits sacerdotaux. Rien n’était plus opposé aux idées et aux sympathies des Taborites ; et cependant, soit qu’il mît un art infini à leur faire accepter cette conduite, soit qu’ils sentissent le besoin de ce chef invincible, ils n’avaient point murmuré. Peut-être aussi étaient-ils trop divisés en fait de principes pour former une sédition de quelque importance. Mais, à mesure que l’adhésion des villes et le progrès de leur propagande leur donnèrent de l’assurance, un élément de révolte se manifesta dans leurs rangs. Les historiens ont presque tous donné indifféremment le nom de Picards à la secte qui s’était introduite au sein du taborisme, vers l’année 1417. Le moine Prémontré Jean en était un des plus ardents apôtres, et nous verrons bientôt qu’il essaya d’ébranler le pouvoir illimité du redoutable aveugle.

Ziska, sentant qu’un ferment de discorde s’était introduit parmi les siens, résolut de le combattre énergiquement. La capitulation de Cuttemberg n’avait pas été observée très-fidèlement par les Taborites de Prague ; on avait maltraité plusieurs catholiques, en dépit de la foi jurée. À Sedlitz, dans le district Czaslaw, Ziska voulut épargner les bâtiments d’un superbe monastère, et défendit à ses gens de l’endommager en aucune façon. Cependant un d’entre eux y mit le feu durant la nuit. Ziska procéda, dit-on, pour découvrir et châtier cette désobéissance, avec sa ruse et sa cruauté accoutumées. Il feignit d’approuver l’incendie et de vouloir récompenser d’une bonne somme d’argent celui qui viendrait s’en vanter à lui. Le coupable se nomma. Ziska lui compta l’argent, et le lui fit avaler fondu ; ensuite il décréta de fortes peines contre ceux qui mettraient désormais le feu sans son ordre. On peut croire, d’après cette mesure, qu’en plus d’une occasion ses intentions de vengeance à l’égard des vaincus avaient été outrepassées, et qu’il n’avait pas toujours été aussi obéi qu’il avait voulu le paraître. Cependant il se borna, pour cette fois, à faire périr à Tabor quelques-uns de ces Picards qui murmuraient contre lui ; et, entraînant ses Taborites dans une nouvelle course, il leur fit ou leur laissa détruire encore plus de trente monastères. Enfin, réuni à ceux de Prague, il prit Jaromir avec beaucoup de peine, et la traita fort durement, parce que ses habitants avaient déclaré vouloir se rendre aux Calixtins de Prague, et non à lui.

Pendant ce temps, Jean le Prémontré détruisait aussi des monastères : à Prague, il dispersa violemment la communauté des religieuses de Saint-Georges, qu’on avait épargnées jusque-là parce qu’elles étaient toutes filles de qualité. Ailleurs, il brûla les couvents et les moines. Dans un autre couvent de femmes, à Brux, sept nonnes ayant été massacrées au pied de l’autel, la légende rapporte que la statue de la Vierge détourna la tête, et que l’enfant Jésus, qu’elle portait dans son giron, lui mit le doigt dans la bouche.

Enfin la ville de Boleslaw se rendit à ceux de Prague, et le seigneur catholique Jean de Michalovitz, à qui l’on enleva dans le même temps une bonne forteresse, fut repoussé avec perte, après avoir tenté de reprendre Boleslaw.

X.

Tant de succès firent ouvrir les yeux au parti catholique sur l’importance et la force de la révolution. Un moment vint où, n’espérant plus la conjurer, il résolut de l’accepter, afin de n’être point brisé par elle. Sigismond ne pouvait inspirer d’affection à personne : il avait mécontenté tous ses amis. Les Rosemberg furent des premiers à l’abandonner, et une diète générale fut assemblée à Czaslaw, où presque toute la noblesse déclara qu’elle se détachait du parti de l’empereur. Quant à la religion, les Hussites, qui voulaient des gages, eurent bon marché de ces consciences si orthodoxes, et leur firent accepter leur quatre articles calixtins sans difficulté. Mais à ces quatre articles ils en ajoutaient un cinquième, qui portait l’engagement de ne reconnaître pour roi que l’élu de la diète nationale. Les villes de la Moravie, à qui on avait écrit d’adhérer à ces cinq articles ou de s’attendre à la guerre, envoyèrent des députés à cette diète pour faire savoir qu’elles se rangeraient aisément aux quatre premiers, mais que le cinquième était grave et demandait le temps de la réflexion. Ces actes officiels font assez voir que la foi catholique était peu brillante à cette époque ; que Rome n’était plus qu’une puissance temporelle, représentée par l’empereur plus que par le pape, et que si l’on n’eût craint une lutte politique avec ces potentats, on se fût volontiers raillé des décisions des conciles.

On ne nous dit pas si Ziska fut présent à cette diète, mais il est certain qu’il y donna les mains, et qu’il ne rejeta pas l’alliance des seigneurs catholiques contre Sigismond. Le gros des Taborites se laissait guider par lui ; mais les Picards, et ceux qui avaient été exaltés par eux et qui s’intitulaient déjà nouveaux Taborites ou Taborites reformés, l’en blâmèrent ouvertement. Ces Taborites picards étaient assez nombreux à Prague. Partout ailleurs ils eussent été sous la main terrible de Ziska. À Prague, ils pouvaient se glisser encore inaperçus entre les divers partis. Jean le Prémontré les échauffait de sa parole ardente et de son zèle fougueux. Il déclamait contre l’alliance avec les catholiques, signalait les Wartemberg et les Rosemberg surtout, comme capables de toutes les lâchetés et de toutes les trahisons, prédisait qu’ils perdraient la révolution et vendraient la Bohême au premier