Page:Sand - Adriani.djvu/50

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et, un beau jour, elle voudra exister : elle aimera de nouveau, elle qui n’a vécu encore que d’amour, et qui en vit toujours par le souvenir : elle se remariera ! »

— Et à présent ?…

— À présent, monsieur, savez-vous qu’il y a tantôt trois ans qu’elle est veuve, et qu’elle est pire que le premier jour ?

— On dit qu’elle est folle ; l’est-elle en effet ?

D’Argères lança cette question comme Toinette lui avait lancé les siennes, à l’improviste, résolu à s’emparer de son premier moment de surprise.

Mais la Muiron ne broncha pas et répondit d’un air triste :

— Oui, je sais bien qu’on le croit, parce que les âmes vulgaires ne comprennent pas la vraie douleur. Plût au ciel qu’elle le fût un peu, folle ! Ce serait une crise, les médecins y pourraient quelque chose, et j’espérerais une révolution dans ses idées ; mais ma pauvre maîtresse a autant de force pour regretter qu’elle en a eu pour espérer. Oui, monsieur, elle regrette comme elle a su attendre. Elle est calme à faire peur. Elle marche, elle dort, elle vit à peu près comme tout le monde, sauf qu’elle paraît un peu préoccupée ; vous ne diriez jamais, à la voir, qu’elle a la mort dans l’âme.

— Je voudrais bien la voir, dit naïvement d’Argères. Est-ce que c’est impossible ?