Page:Sand - Adriani.djvu/57

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Tu te rappelles sa passion extatique pour la belle Laure, cette brune pâle, qui, de sa petite loge d’avant-scène, ne jetait pas seulement un regard sur lui et ne s’est jamais doutée qu’elle eût un adorateur sous ses pieds. Il nous la faisait tant remarquer et il la célébrait d’une façon si comique, qu’il fallait qu’elle fût belle comme trente houris pour qu’il ne lui attirât pas nos moqueries ; mais elle était incontestable, et la poésie même de Daniel ne pouvait pas nous empêcher de la regarder avec l’admiration désintéressée qui nous était commandée par le destin.

Eh bien, imagine-toi qu’hier matin, en flânant dans la campagne, j’ai découvert cette même Laure, toujours belle, mais veuve désespérée, et volontairement cloîtrée dans une espèce de ruine, au fond des déserts légèrement raboteux du Vivarais.

— Voilà, diras-tu, ce que c’est que d’épouser un marquis ! Si elle eût daigné s’informer de notre ami Daniel et le rendre heureux, elle ne serait pas veuve. Il n’y a que les gens qui meurent d’amour et de faim pour échapper à tous les dangers et devenir centenaires.

Je peux te dire pourtant, sans plaisanter, qu’elle m’a fait une très-vive impression, cette pauvre désolée, car c’est ainsi qu’on l’appelle dans le pays. Je ne crois pas qu’il y ait place pour le désir de la possession, dans l’esprit de ceux qui la voient, sans être des brutes, car autant vaudrait se fiancer avec la mort (moralement parlant) ;