Page:Sand - Cadio.djvu/267

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moi, la confiance m’est revenue depuis que je vous ai miraculeusement arrachée à la prison… Ah ! j’ai passé ici des heures bien douces ! J’y ai souffert aussi, car, à mesure que votre beauté reprenait son éclat, je voyais bien qu’une transformation rapide se faisait dans votre âme. Vous aviez de soudaines rougeurs, d’involontaires tressaillements. Je vous surprenais, vous si active et si laborieuse, plongée dans la rêverie ou brisée par l’émotion. « Elle aime, me disais-je, et ce ne peut être que moi ou Cadio !… Comment le savoir ? oserai-je jamais l’interroger ? Elle sera sincère et d’une loyauté inébranlable ; sa réponse sera l’arrêt de mon désespoir ou l’essor de mon bonheur… J’aime mieux douter encore… » Et j’aurais encore attendu ; mais je pars demain, Marie !

MARIE, éperdue. Ne partez pas !

HENRI, à ses pieds. Non, je resterai si tu m’aimes !

MARIE, pleurant. Ah ! je suis folle, et nous sommes des enfants ! Il faut que vous partiez, c’est l’honneur qui le commande, c’est le devoir. Il n’y aura peut-être plus ici de dangers ni de malheurs, et votre fierté ne doit pas attendre. Là-bas, nos frontières sont toujours menacées et vos frères se battent. Si je vous empêchais d’y courir, vous souffririez bien vite, et vous me reprocheriez bientôt d’avoir entravé votre carrière et amolli votre courage. Je rougirais de moi, et ce lien sacré qui est entre nous, l’amour de la patrie, serait relâché et terni par ma faiblesse. Allez, Henri, allez. — Je ne vous reverrai peut-être jamais ! Je vous envoie peut-être à une glorieuse mort ! Vous emportez mon cœur et ma vie, emportez donc aussi la promesse que je vous fais ici de vous pleurer éternellement