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consuelo.

gaieté forcée, affreuse à voir pour qui l’eût comprise ! En rentrant dans sa loge elle tomba en convulsions. Le public voulait la revoir pour l’applaudir ; elle tarda, on fit un horrible vacarme ; on voulait casser les banquettes, escalader la rampe. Stefanini vint la chercher à demi vêtue, les cheveux en désordre, pâle comme un spectre ; elle se laissa traîner sur la scène, et, accablée d’une pluie de fleurs, elle fut forcée de se baisser pour ramasser une couronne de laurier.

« Ah ! les bêtes féroces ! murmura-t-elle en rentrant dans la coulisse.

— Ma belle, lui dit le vieux chanteur qui lui donnait la main, tu es bien souffrante ; mais ces petites choses-là, ajouta-t-il en lui remettant une gerbe des fleurs qu’il avait ramassées pour elle, sont un spécifique merveilleux pour tous nos maux. Tu t’y habitueras, et un jour viendra où tu ne sentiras ton mal et ta fatigue que les jours où l’on oubliera de te couronner.

— Oh ! qu’ils sont vains et petits ! pensa la pauvre Consuelo. »

Rentrée dans sa loge, elle s’évanouit littéralement sur un lit de fleurs qu’on avait recueillies sur le théâtre et jetées pêle-mêle sur le sofa. L’habilleuse sortit pour appeler un médecin. Le comte Zustiniani resta seul quelques instants auprès de sa belle cantatrice, pâle et brisée comme les jasmins qui jonchaient sa couche. En cet instant de trouble et d’enivrement, Zustiniani perdit la tête et céda à la folle inspiration de la ranimer par ses caresses. Mais son premier baiser fut odieux aux lèvres pures de Consuelo. Elle se ranima pour le repousser, comme si c’eût été la morsure d’un serpent.

« Ah ! loin de moi, dit-elle en s’agitant dans une sorte de délire, loin de moi l’amour et les caresses et les douces paroles ! Jamais d’amour ! jamais d’époux ! jamais