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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

haie sur son passage dans une attitude respectueuse, tandis que moi, faible enfant, je jouais entre les blanches pattes de ma mère Tanbella, vive Espagnole à l’œil rouge et à la dent aiguë ! Je crois entendre la voix du pasteur chantant la ballade des montagnes aux échos sauvages, étonnés de répondre à une voix humaine dans cette âpre solitude. Je retrouve dans ma mémoire son costume étrange, son cothurne de laine rouge, appelé spardilla ; son berret blanc et bleu, son manteau tailladé et sa longue espingole plus fidèle gardienne de son troupeau que la houlette, parée de rubans, que les bergères de Cervantès portaient au temps de l’âge d’or.

Je revois les pics menaçants, embellis de toutes les couleurs du prisme reflétées sur la glace séculaire ; les torrents écumeux, dont la voix terrible assourdit les simples mortels ; les lacs paisibles bordés de safran sauvage et de rochers blancs comme le marbre de Paros ; les vieilles forteresses mauresques abandonnées aux lézards et aux choucas, les forêts de noirs sapins, et les grottes imposantes comme l’entrée du Tartare. — Pardonnez à ma faiblesse, ce retour sur un temps pour jamais effacé de ma destinée, et qui remplit mon cœur de mélancolie.

Mais, dites-moi, Fleury, si vous avez autant d’âme qu’un chien comme moi peut en avoir, pensez-vous qu’un simple et hardi montagnard soit un digne courtisan du despotisme, un conspirateur dangereux, un affilié de Lulworth. Non, vous ne le pensez pas ! Vous