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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND
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l’esprit indifférent et le caractère quinteux. Je ne crains pas, je me méfie, et ma vie est un malaise affreux quand je ne suis pas seule, ou avec des gens avec lesquels je me gêne aussi peu qu’avec mes chiens. Il ne faut pas espérer que vous me guérirez de sitôt de certains moments de raideur qui ne s’expriment que par des réticences. Si nous nous lions davantage, comme j’y compte, comme je le veux, il faudra que vous preniez de l’empire sur moi ; autrement, je serai toujours désagréable. Si vous me traitez comme un enfant, je deviendrai bonne, parce que je serai à l’aise, parce que je ne craindrai pas de tirer à conséquence, parce que je pourrai dire tout ce qu’il y a de plus bête, de plus fou, de plus déplacé, sans avoir honte. Je saurai que vous m’avez acceptée. Si j’ai de mauvais moments, j’en aurai aussi de bons. Autrement, je ne serai ni bien ni mal. Je vous ennuierai et je m’ennuierai avec vous, quelque parfaite que vous soyez.

Voyez-vous, l’espèce humaine est mon ennemie, laissez-moi vous le dire ; j’aime mes amis avec tendresse, avec engouement, avec aveuglement. J’ai détesté profondément tout le reste. Je n’ai plus de furie pour la haine aujourd’hui ; mais il y a un froid de mort pour tout ce que je ne connais pas. J’ai bien peur que ce ne soit là ce qu’on appelle l’égoïsme de la vieillesse. Je me ferais maintenant hacher pour des idées qui ne se réaliseront sans doute pas de mon vivant. Je rendrais service au dernier des goujats, par