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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

mal. Cette demeure était d’une poésie incomparable ; nous ne voyions âme qui vive ; rien ne troublait notre travail ; après deux mois d’attente et trois cents francs de contribution, Chopin avait enfin reçu son piano, et les voûtes de la cellule s’enchantaient de ses mélodies. La santé et la force poussaient à vue d’œil chez Maurice ; moi, je faisais le précepteur sept heures par jour, un peu plus consciencieusement que Tempête (la bonne fille que j’embrasse tout de même de bien grand cœur) ; je travaillais pour mon compte la moitié de la nuit. Chopin composait des chefs-d’œuvre, et nous espérions avaler le reste de nos contrariétés à l’aide de ces compensations. Mais le climat devenait horrible à cause de l’élévation de la chartreuse dans la montagne. Nous vivions au milieu des nuages, et nous passâmes cinquante jours sans pouvoir descendre dans la plaine : les chemins s’étaient changés en torrents, et nous n’apercevions plus le soleil.

Tout cela m’eût semblé beau, si le pauvre Chopin eût pu s’en arranger. Maurice n’en souffrait pas. Le vent et la mer chantaient sur un ton sublime en battant nos rochers. Les cloîtres immenses et déserts craquaient sur nos têtes. Si j’eusse écrit là la partie de Lélia qui se passe au monastère, je l’eusse faite plus belle et plus vraie. Mais la poitrine de mon pauvre ami allait de mal en pis. Le beau temps ne revenait pas. Une femme de chambre que j’avais amenée de France et qui, jusqu’alors, s’était résignée, moyennant un gros