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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

pouvoir apporter qu’un stérile intérêt, est un plus grand chagrin, plus que toute l’injustice dont on peut être l’objet soi-même.

J’ai, en outre, le regret continuel d’être un mauvais auxiliaire en fait de services qui demanderaient, en compensation de l’argent qui me manque, du crédit, de l’activité et de l’influence dans le monde. Si je suis une espèce d’homme de lettres, je suis avant tout mère de famille, et il ne me reste pas un instant pour voir le monde, pour rendre les visites qu’on me fait, et pour répondre aux nombreuses lettres qu’on m’adresse. Si j’ai une ou deux heures libres par semaine, j’aime mieux les consacrer à de vieux amis, ou à de nobles relations, comme je considère celles que je veux conserver avec vous, que de satisfaire la curiosité de quelques belles dames, ou de quelques jolis messieurs qui voudraient m’examiner à la loupe, comme une bête singulière. De là vient que je ne connais personne, et que, Dieu merci, personne ne me connaît dans ce monde, où d’autres posent, jasent, prononcent et imposent leurs sympathies et leurs opinions à des coteries.

Voilà pourquoi aussi j’ai personnellement l’occasion de lancer un livre moins que qui que ce soit. Ma seule efficacité, si j’en ai une, est dans ma plume. Je n’ai jamais flatté personne et je n’ai jamais fait ce qu’on appelle de la critique que dans trois ou quatre occasions, où mon cœur était ému et ma conviction entière.