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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

Je trouvais inutile de confier au papier des jugements qui, par le temps de police qui court, peuvent toujours tomber dans les mains de nos ennemis. — Mais, puisque vous y revenez, je vous dois de m’expliquer.

Vous faites de la politique, dans ce moment-ci, rien que de la politique. Vous êtes au fond aussi socialiste que moi, je le sais ; mais vous réservez les questions d’avenir pour des temps meilleurs, et vous croyez qu’une association toute politique entre quelques hommes qui représentent la situation républicaine telle qu’elle peut être, en ce moment, est un devoir pour vous. Vous le faites, vous surmontez vos répugnances (vous m’écriviez cela dans la lettre à laquelle j’ai répondu), vous croyez enfin qu’il n’y a rien autre chose à faire. Il est possible ; mais est-ce une raison pour le faire ? Là est la question.

Vous voyez les choses en grand ; vous faites bon marché des individus ; vous admettez l’homme, pourvu qu’il représente une idée ; vous le prenez comme un symbole et vous l’ajoutez à votre faisceau, sans trop vous demander si c’est une arme éprouvée. Eh bien, pour moi, Ledru-Rollin est une arme faible et dangereuse, destinée à se briser dans les mains du peuple. Soyons juste et faisons la part de l’homme. Je commence par vous dire que j’ai de la sympathie, de l’amitié même pour cet homme-là. Je suis sans aucune prévention personnelle à son égard, et, tout au contraire, mon goût me ferait préférer sa société à celle de la plupart des hommes politiques que je con-