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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

cain, il n’y a plus rien en France qui ne soit mort ou près de mourir. Dieu ne veut plus se servir de quelques hommes pour nous initier, apparemment pour nous punir d’avoir trop exalté le culte de l’individu. Il veut que tout se fasse par tous, et c’est la nécessité, trop peu prévue peut-être, de l’institution du suffrage universel. Vous en avez fait un magnifique essai à Rome ; mais je suis certaine qu’il n’a réussi qu’à cause du danger, à cause de ce fait nécessaire de la liberté à reconquérir. Si, au lieu de suivre la fade et sotte politique de Lamartine, nous avions jeté le gant aux monarchies absolues, nous aurions la guerre au dehors, l’union au dedans et la force, par conséquent, au dedans et au dehors. Les hommes qui ont inauguré cette politique, par impuissance et par bêtise, ont été poussés par la ruse de Satan sans le savoir. L’esprit du mal nous conduisait où il voulait, le jour où il nous conseillait la paix à tout prix.

À présent, il nous faut attendre que les masses soient initiées. Ce n’est point par goût que j’ai cette conviction. Mon goût ne serait pas du tout d’attendre ; car ce temps et ces choses me pèsent tellement, que souvent je me demande si je vivrai jusqu’à ce qu’ils aient pris fin. J’ai dix fois par jour l’envie très sérieuse de n’en pas voir davantage et de me brûler la cervelle. Mais cela importe peu. Que j’aie ou non patience jusqu’au bout, la masse n’en marchera ni plus ni moins vite. Elle veut savoir, elle veut connaître par elle-même ; elle se méfie de qui en sait plus qu’elle ;