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Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 3.djvu/362

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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

ple étude de critique que vous faites, c’est aussi une appréciation morale. La tâche vous sera douce et facile, et je n’ai probablement rien à vous apprendre sur la constante noblesse de son caractère et l’honorable fidélité de ses amitiés.

Je ne vous apprendrai pas non plus que son esprit est aussi brillant que sa couleur, et aussi franc que sa verve. Pourtant cette aimable causerie et cet enjouement qui sont souvent dus à l’obligeance du cœur dans l’intimité, cachent un fonds de mélancolie philosophique, inévitable résultat de l’ardeur du génie aux prises avec la netteté du jugement.

Personne n’a senti comme Delacroix le type douloureux de Hamlet. Personne n’a encadré dans une lumière plus poétique, et posé dans une attitude plus réelle, ce héros de la souffrance, de l’indignation, du doute et de l’ironie, qui fut pourtant, avant ses extases, le miroir de la mode et le moule de la forme, c’est-à-dire, en son temps, un homme du monde accompli. Vous tirerez de là, en y réfléchissant, des conséquences justes sur le désaccord que certains enthousiastes désappointés ont pu remarquer avec surprise entre le Delacroix qui crée et celui qui raconte, entre le fougueux coloriste et le critique délicat, entre l’admirateur de Rubens et l’adorateur de Raphaël. Plus puissant et plus heureux que ceux qui rabaissent une de ces gloires pour déifier l’autre, Delacroix jouit également des diverses faces du beau, par les côtés multiples de son intelligence. Delacroix, vous pouvez