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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

temps, s’est emparée de la bourgeoisie. Et puis les spéculateurs qui, sous la dernière monarchie, se sont emparés de ces richesses communes (et c’est en ce sens que Proudhon a raison de dire que la propriété, c’est le vol), ne veulent point restituer à la communauté ce qui est essentiellement du domaine commun. S’ils pouvaient, comme sous la féodalité, posséder les ponts, les chemins, les rivières, les maisons et même les hommes, ils trouveraient cela fort légitime, tant ils font peu, vis-à-vis de la communauté, la distinction du tien et du mien.

Le peuple qui s’est battu en juin avait-il compris cette distinction ? On le croirait à cause du fait de la dissolution des ateliers nationaux, qui a servi de cause ou de prétexte. Il semble qu’il ait pris les armes pour maintenir son droit au travail. Mais le fait accompli se présente si confusément et, je le répète, les dernières élections de Paris sont si bizarres, qu’on ne sait plus que penser de la masse.

Est-ce par haine de la dictature de Cavaignac qu’on ambitionne celle d’un neveu de Napoléon ? Comment le savoir ? Nous nous agitons dans une fournaise, et il est malheureux que le peuple ne connaisse pas sa vraie force. Elle est dans le suffrage universel qui le met toujours à même de réparer ses fautes et de refaire sa constitution. Mais l’excès de sa souffrance la lui fait méconnaître, et, dans les orages qu’il soulève, dans les vœux étranges qu’il émet lors des élections, il compromet le principe même de sa souveraineté.