Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 5.djvu/103

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comme en Normandie ; pas de grand fleuve avec ses cris de vapeur et sa chaîne infernale ; un ruisselet qui passe muet sous les saules ; un silence… ah ! mais il me semble qu’on est au fond de la forêt vierge : rien ne parle que le petit jet de la source qui empile sans relâche des diamants au clair de la lune. Les mouches endormies dans les coins de la chambre se réveillent à la chaleur de mon feu. Elles s’étaient mises là pour mourir, elles arrivent auprès de la lampe, elles sont prises d’une gaieté folle, elles bourdonnent, elles sautent, elles rient, elles ont même des velléités d’amour ; mais c’est l’heure de mourir, et, paf ! au milieu de la danse, elles tombent raides. C’est fini, adieu le bal !

Je suis triste ici tout de même. Cette solitude absolue, qui a toujours été pour moi vacance et récréation, est partagée maintenant par un mort qui a fini là, comme une lampe qui s’éteint, et qui est toujours là. Je ne le tiens pas pour malheureux, dans la région qu’il habite ; mais cette image qu’il a laissée autour de moi, qui n’est plus qu’un reflet, semble se plaindre de ne pouvoir plus me parler.

N’importe ! la tristesse n’est pas malsaine : elle nous empêche de nous dessécher. Et vous, mon ami, que faites-vous à cette heure ? Vous piochez aussi, seul aussi ; car la maman doit être à Rouen. Ça doit être beau aussi, la nuit, là-bas. Y pensez-vous quelquefois au « vieux troubadour de pendule d’auberge, qui toujours chante et chantera le parfait amour » ? Eh