Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 5.djvu/217

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était digne de vous être comparé. Il avait toutes les vertus, aussi. Il est bien où il est à présent, il reçoit sa récompense, il se repose de ses fatigues, il entrevoit des lueurs nouvelles, un espoir plus net, une vie meilleure à parcourir, des devoirs nouveaux avec des forces retrempées et un cœur rajeuni.

Mais rester sans lui, voilà le difficile et le cruel !

Je sais que vous m’en aimerez mieux et que vous penserez à moi avec plus de tendresse encore. Je ne veux pas me plaindre. Rien ne m’attache plus à la vie que mes enfants et mes amis. Tout ce qui n’est pas affection m’ennuie à présent, le travail n’est plus pour moi qu’un moyen de me fatiguer pour m’endormir.

Je sais de la vie tout ce qu’elle peut donner, c’est-à-dire, hélas ! tout ce qu’elle ne peut pas nous donner dans ces jours de décomposition où la misère humaine met à nu toutes ses plaies morales. Nous subissons les lois du temps et les fatalités de l’histoire. Plus heureux que les hommes du passé, nous ne disons pas comme eux : « C’est la fin du monde. » Nous ne croyons pas que tout est usé et brisé parce que tout va mal ; mais la notion du progrès, qui nous a faits plus forts de raisonnement que nos pères, nous a-t-elle faits plus patients ? Elle a, comme toutes les choses de la civilisation, aiguisé notre esprit et augmenté notre ardeur. Nous avons besoin d’être heureux, nous sentons que cela est dû à la race humaine, la soif du mieux, du bon et du vrai nous dévore.