Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 6.djvu/145

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vos souhaits affectueux. J’entre dans ma soixante-huitième année avec le cœur bien écorché par les malheurs et les déchirements de mon pays ; mais je n’ai pas le droit de me plaindre personnellement, puisque j’ai autour de moi cette chère famille pour laquelle, avant tout, j’existe, et d’excellents amis, qui ont traversé sans catastrophe tous nos désastres. Je crois à la sincérité, à l’honneur, à la grande intelligence de M. Thiers et du noyau modéré qui joint ses efforts aux siens. Il n’en est pas moins triste de reconnaître qu’il faut passer absolument par cette grande modération qui est un instrument de progrès lent et froid, au lieu de pouvoir compter sur les forces vives et jeunes de l’esprit public ! Que de moyens et de puissances il va falloir enchaîner par crainte du désordre et de la démence !

Ah ! que j’en veux à ceux qui ont dépassé le but et qui l’ont laissé ruiné et renversé derrière eux ! On rebâtira ce qui a été brûlé et démoli ; mais la confiance que le peuple eût dû tenir à cœur d’inspirer, combien faudra-t-il de temps pour la rendre aux âmes généreuses ? Quelle souffrance que de se sentir en colère contre son enfant !

Ne nous laissez pas sans nouvelles de vous, cher ami, et, si vous n’êtes pas tenu à Paris par de grandes affaires, si vous avez besoin de repos, d’air et de soleil, venez nous voir. Vous serez toujours le très bien venu.

À vous de cœur.
G. SAND.