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qu’elle saisit et emporte. Gotthelf ne décrit pourtant pas ; à quoi bon décrire quand on a la puissance de faire voir ? Il y a dans les émotions de ses personnages assez de poëme ou de drame intérieur pour que l’imagination saisisse le cadre de ses tableaux vivants. Gotthelf est positif, il est abondant et sobre : ce qui est la solution d’un grand problème. Il parcourt rapidement sa montagne, sans consentir à vous laisser tomber dans la contemplation. S’il est poëte, vous n’en savez rien, et il n’en sait rien lui-même ; mais, rien qu’en vous faisant jeter les yeux sur un détail nécessaire à son récit, il vous transporte en pleine poésie et vous inspire le regret d’avoir passé si vite. Il n’est pas artiste de parti pris, il ne veut pas l’être. On prétend même qu’il affichait un certain mépris pour les règles de l’art, n’attachant à ses récits d’autre valeur que la sincérité, et ne poursuivant d’autre but que la moralisation des bonnes gens. Mais il était doué, et se conformait sans le savoir aux vraies lois de la composition. Tout est en proportion et au point de perspective dans ses récits. Il a du goût sous sa rude enveloppe de couleur rustique, et, sans avoir l’air d’y toucher, il fouille le cœur