Page:Sand - Elle et Lui.djvu/103

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au printemps. En s’enfonçant dans les terres au fond du golfe, à deux ou trois lieues de la côte, on découvre les sites les plus étranges. Il y a une certaine région de terrains déchirés par je ne sais quels anciens tremblements de terre, qui présente les accidents les plus bizarres. C’est une suite de collines de sable rouge recouvertes de pins et de bruyères, s’échelonnant les unes sur les autres, et offrant sur leurs crêtes d’assez larges voies naturelles qui tout à coup tombent à pic dans les abîmes et vous laissent fort embarrassé de continuer. Si l’on revient sur ses pas et que l’on se trompe dans le dédale des petits sentiers battus par les pieds des troupeaux, on arrive à d’autres abîmes, et nous sommes restés quelquefois, Palmer et moi, des heures entières sur ces sommets boisés, sans retrouver le chemin qui nous y avait amenés. De là, on plonge sur une immensité de pays cultivé, coupé de place en place avec une sorte de régularité par ces accidents étranges, et au delà de cette immensité se déploie l’immensité bleue de la mer. De ce côté-là, il semble que l’horizon n’ait pas de limites. Du côté du nord et de l’est, ce sont les Alpes Maritimes, dont les crêtes, hardiment dessinées, étaient encore couvertes de neige quand je suis arrivée ici. « Mais il n’est plus question de ces savanes de cistes en fleurs et de ces arbres de bruyère blanche qui répandaient un parfum si frais et si fin aux premiers jours de mai. C’était alors un paradis terrestre : ces bois étaient pleins de faux ébéniers, d’arbres de Judée, de genêts odorants et de cytises étincelant comme de l’or au milieu des noirs buissons de myrte. À présent, tout est brûlé, les pins exhalent une odeur acre, les champs de lupin, si fleuris et si parfumés naguère, n’offrent plus que des tiges coupées, noires comme si le feu y avait passé ; les moissons enlevées, la terre fume au soleil de midi, et il faut se lever de grand matin pour se promener sans souffrir. Or, comme il faut d’ici quatre heures au moins, tant en barque que sur les pieds, pour gagner la partie boisée du pays, le retour n’est pas agréable, et toutes les hauteurs qui entourent immédiatement le golfe, magnifiques de formes et d’aspect, sont si nues, que c’est encore à Porto-Venere et dans l’île Palmaria que l’on peut respirer le mieux.

« Et puis il y a un fléau à la Spezzia : ce sont les moustiques engendrés par les eaux stagnantes d’un petit lac voisin et des immenses marécages que la culture dispute aux eaux de la mer. Ici, ce n’est pas l’eau des terres qui nous gêne : nous n’avons que la mer et le rocher, pas d’insectes par conséquent, pas un brin d’herbe ; mais quels nuages d’or et de pourpre, quelles tempêtes sublimes, quels calmes solennels ! La mer est un tableau qui change de couleur et de sentiment à chaque minute du jour et de la nuit.