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Page:Sand - Elle et Lui.djvu/106

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Thérèse reçut de Laurent à la même époque une lettre si ardente, qu’elle en fut inquiète. Ce n’était plus l’enthousiasme de l’amitié, c’était celui de l’amour. Le silence que Thérèse avait gardé sur ses relations avec Palmer avait rendu à l’artiste l’espoir de renouer avec elle. Il ne pouvait plus vivre sans elle ; il avait fait de vains efforts pour retourner à la vie de plaisir. Le dégoût l’avait saisi à la gorge.

« Ah ! Thérèse, lui disait-il, je t’ai reproché autrefois d’aimer trop chastement et d’être plus faite pour le couvent que pour l’amour. Comment ai-je pu blasphémer ainsi ? Depuis que je cherche à me rattacher au vice, c’est moi qui me sens redevenir chaste comme l’enfance, et les femmes que je vois me disent que je suis bon à faire un moine. Non, non, je n’oublierai jamais ce qu’il y avait entre nous de plus que l’amour, cette douceur maternelle qui me couvait durant des heures entières d’un sourire attendri et placide, ces épanchements du cœur, ces aspirations de l’intelligence, ce poème à deux dont nous étions les auteurs et les personnages sans y songer. Thérèse, si tu n’es pas à Palmer, tu ne peux être qu’à moi ! Avec quel autre retrouveras-tu ces émotions ardentes, ces attendrissements profonds ? Tous nos jours ont-ils donc été mauvais ? N’y en a-t-il pas eu de beaux ? Et, d’ailleurs, est-ce le bonheur que tu cherches, toi, la femme dévouée ? Peux-tu te passer de souffrir pour quelqu’un, et ne m’as-tu pas appelé quelquefois, quand tu me pardonnais mes folies, ton cher supplice et ton tourment nécessaire ? Souviens-toi, souviens-toi, Thérèse ! Tu as souffert, et tu vis. Moi, je t’ai fait souffrir, et j’en meurs ! N’ai-je pas assez expié ? Voilà trois mois d’agonie pour mon âme !… »

Puis venaient des reproches. Thérèse lui en avait dit trop ou trop peu. Les expressions de son amitié étaient trop vives si ce n’était que de l’amitié, trop froides et trop prudentes si c’était de l’amour. Il fallait qu’elle eût le courage de le faire vivre ou mourir.

Thérèse se décida à lui répondre qu’elle aimait Palmer, et qu’elle comptait l’aimer toujours, sans pourtant parler du projet de mariage qu’elle ne pouvait se résoudre à regarder comme une résolution arrêtée. Elle adoucit autant qu’elle put le coup que cet aveu devait porter à l’orgueil de Laurent.

« Sache bien, lui dit-elle, que ce n’est pas, comme tu le prétendais, pour te punir, que j’ai donné mon cœur et ma vie à un autre. Non, tu étais pleinement pardonné le jour où j’ai répondu à l’affection de Palmer, et la preuve, c’est que j’ai couru à Florence avec lui. Crois-tu donc, mon pauvre enfant, qu’en te soignant comme j’ai fait durant ta maladie, je ne fusse réellement là qu’une sœur de charité » ? Non, non, ce n’était pas le devoir, qui m’enchaînait à ton chevet, c’était la tendresse d’une mère. Est-ce qu’une mère ne pardonne pas toujours ? Eh bien, il en sera toujours ainsi, vois-tu ! Toutes les fois que, sans manquer à ce que je dois à Palmer, je pourrai te servir, te soigner et te consoler, tu me retrouveras. C’est parce que Palmer ne s’y oppose pas que j’ai pu l’aimer, et que je l’aime. S’il m’eût fallu passer de tes bras dans ceux de ton ennemi, j’aurais eu horreur de moi ; mais ç’a été le contraire. C’est en nous jurant l’un à l’autre de veiller toujours sur toi, de ne t’abandonner jamais, que nos mains se sont unies. »

Thérèse montra cette lettre à Palmer, qui en fut vivement ému et voulut écrire de son côté, à Laurent, pour lui faire les mêmes promesses de sollicitude constante et d’affection vraie.

Laurent fit attendre une nouvelle lettre de lui. Il avait recommencé un rêve qu’il voyait s’envoler sans retour. Il s’en affecta vivement d’abord ; mais il résolut de secouer ce chagrin qu’il ne se sentait pas la force de porter. Il se fit en lui une de ces révolutions soudaines et complètes qui étaient tantôt le fléau, tantôt le salut de sa vie, et il écrivit à Thérèse :

« Sois bénie, ma sœur adorée ; je suis heureux, je suis fier de ton amitié fidèle, et celle de Palmer m’a touché jusqu’aux larmes. Que ne parlais-tu plus tôt, méchante ? je n’aurais pas tant souffert. Que me fallait-il, en effet ? Te savoir heureuse, et rien de plus. C’est parce que je t’ai crue seule et triste que je revenais me mettre à tes pieds pour te dire : « Eh bien, puisque tu souffres, souffrons ensemble. Je veux partager tes tristesses, tes ennuis et ta solitude. » N’était-ce pas mon devoir et mon droit ? —