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Page:Sand - Elle et Lui.djvu/25

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vous le reproche. Moi, j’ai toujours traité avec respect cette exubérance de jeunesse qui fait les grands artistes, et dont les beautés empêchent quiconque a de l’enthousiasme d’éplucher les défauts. Loin de trouver votre travail froid et emphatique, je le sens brûlant et passionné ; mais je cherchais où était en vous le siége de cette passion : je le vois maintenant, il est dans le désir de l’âme. Oui, certainement, ajouta-t-elle toujours rêveuse, comme si elle cherchait à percer les voiles de sa propre pensée, le désir peut être une passion.

— Eh bien, à quoi songez-vous ? dit Laurent en suivant son regard absorbé.

— Je me demande si je dois faire la guerre à cette puissance qui est en vous, et si, en vous persuadant d’être heureux et calme, on ne vous ôterait pas le feu sacré. Pourtant… je m’imagine que l’aspiration ne peut pas être pour l’esprit une situation durable et que, quand elle s’est vivement exprimée pendant sa période de fièvre, elle doit, ou tomber d’elle-même, ou nous briser. Qu’en dites-vous ? Chaque âge n’a-t-il pas sa force et sa manifestation particulières ? Ce que l’on appelle les diverses manières des maîtres, n’est-ce pas l’expression des successives transformations de leur être ? À trente ans, vous sera-t-il possible d’avoir aspiré à tout sans rien étreindre ? Ne vous sera-t-il pas imposé d’avoir une certitude sur un point quelconque ? Vous êtes dans l’âge de la fantaisie ; mais bientôt viendra celui de la lumière. Ne voulez-vous pas faire de progrès ?

— Dépend-il de moi d’en faire ?

— Oui, si vous ne travaillez pas à déranger l’équilibre de vos facultés. Vous ne me persuaderez pas que l’épuisement soit le remède de la fièvre : il n’en est que le résultat fatal.

— Alors quel fébrifuge me proposez-vous ?