Page:Sand - Elle et Lui.djvu/78

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vivant. Il la tenait si fort, qu’elle tomba par terre, étouffée. Palmer dut l’emporter de la chambre évanouie ; mais elle y revint au bout d’un instant, et, avec une persévérance qui tenait du prodige, elle passa vingt jours et vingt nuits au chevet de cet homme qu’elle n’aimait plus. Il ne la reconnaissait guère que pour l’accabler d’injures grossières, et, dès qu’elle s’éloignait un instant, il la rappelait en disant que sans elle il allait mourir.

Il n’avait heureusement ni tué aucune femme, ni pris aucun poison, ni peut-être perdu son argent au jeu, ni rien fait de ce qu’il avait écrit à Thérèse dans l’invasion du délire et de la maladie. Il ne se rappela jamais cette lettre, dont elle eût craint de lui parler ; il était assez effrayé du dérangement de sa raison, quand il lui arrivait d’en avoir conscience. Il eut encore bien d’autres rêves sinistres, tant que dura sa fièvre. Il s’imagina tantôt que Thérèse lui versait du poison, tantôt que Palmer lui mettait des menottes. La plus fréquente et la plus cruelle de ses hallucinations consistait à voir une grande épingle d’or que Thérèse détachait de sa chevelure et lui enfonçait lentement dans le crâne. Elle avait, en effet, une telle épingle pour retenir ses cheveux, à la mode italienne. Elle l’ôta, mais il continua à la voir et à la sentir.

Comme il semblait le plus souvent que sa présence l’exaspérât, Thérèse se plaçait ordinairement derrière son lit, avec le rideau entre eux ; mais, aussitôt qu’il était question de le faire boire, il s’emportait et protestait qu’il ne prendrait rien que de la main de Thérèse.

— Elle seule a le droit de me tuer, disait-il ; je lui ai fait tant de mal ! Elle me hait, qu’elle se venge ! Ne la vois-je pas à toute heure, sur le pied de mon lit, dans les bras de son nouvel amant ? Allons, Thérèse, venez donc, j’ai soif : versez-moi le poison.

Thérèse lui versait le calme et le sommeil. Après plusieurs jours d’une exaspération à laquelle les médecins ne croyaient pas qu’il pût résister, et qu’ils notèrent comme un fait anomal, Laurent se calma subitement, et resta inerte, brisé, continuellement assoupi, mais sauvé.

Il était si faible, qu’il fallait le nourrir sans qu’il en eût conscience, et le nourrir à doses si minimes pour que son estomac n’eût pas le moindre travail de digestion à faire, que Thérèse jugea ne devoir pas le quitter un instant. Palmer essaya de lui faire prendre du repos en lui donnant sa parole d’honneur de la remplacer auprès du malade ; mais elle refusa, sentant bien que les forces humaines n’étaient pas à l’abri de la surprise du sommeil, et que, puisqu’un miracle se faisait en elle pour l’avertir de chaque minute où elle devait porter la cuiller aux lèvres du malade, sans que jamais elle fût vaincue par la fatigue, c’était elle, non pas un autre, que Dieu avait chargée de sauver cette existence fragile.

C’était elle en effet, et elle la sauva.

Si la médecine, quelque éclairée qu’elle soit, est insuffisante dans des cas désespérés, c’est bien souvent parce que le traitement est presque impossible à observer d’une manière absolue. On ne sait pas assez ce qu’une minute de besoin ou une minute de plénitude peut apporter de perturbation dans une vie chancelante ; et le miracle qui manque au salut du moribond, c’est souvent le calme, la ténacité et la ponctualité chez ceux qui le soignent.

Enfin, un matin, Laurent s’éveilla comme d’une léthargie,