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IMPRESSIONS ET SOUVENIRS.

bons épiciers, bons laboureurs ou parfaits notaires, si telle est leur vocation.

Il y a plus, une éducation exclusivement artistique n’est pas un moyen infaillible de développer dans l’homme le sentiment du beau et du vrai. Il y a là trop de discussion, trop de conventions, trop de métier ; à force d’apprendre comment il faut voir et comment il faut exprimer, il est bien possible que le disciple de tant de maitres perde souvent le don de voir par ses yeux et de produire avec le sens qui lui est propre. La nature ne se livre pas ainsi au commandement du professeur ; essentiellement mystérieuse, elle a sa révélation particulière pour chaque individu et s’empare de lui par un procédé qu’elle ne répète pas pour un autre. Il faut la voir soi-même et l’interroger avec ses propres tentacules. Elle est éloquente pour tous, mais jamais traduisible jusqu’au fond, car elle a tous les langages, et, sous la prodigalité de ses expressions diverses, elle a un dernier mot caché qu’elle garde pour elle et que, Dieu merci, pour l’art, l’homme cherchera éternellement. Aucun peintre, aucun poëte, aucun musicien, aucun naturaliste, n’épuisera cette coupe de beauté qui toujours déborde après qu’il y a bu à longs traits. Après les plus splendides buveurs, les moindres oisillons trouveront toujours de quoi se désaltérer, et quand vous vous serez assimilé tous les

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