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jean ziska.

femme et ses enfants à travers un pays désolé, pour aller se planter avec eux sur la brèche d’un fort, et y mourir de faim ou percé de coups en défendant son drapeau national. Le fanatisme avait, pour cette héroïque défense, pour cet austère détachement des lares domestiques, pour cette vie dure et errante, enfin pour cette résolution positive de vaincre ou de mourir, des forces que l’orgueil national n’avait déjà plus après le règne brillant et fort de Charles IV. La vie de Ziska n’est pas celle d’un vaillant capitaine seulement ; c’est celle d’un politique consommé ; du moins nous le croyons, et nous espérons bien le prouver, quoiqu’il n’ait pas laissé de meilleure réputation que celle d’un vaillant homme de guerre. Aussi distingua-t-il d’emblée, non le parti auquel il devait se ranger, mais celui qu’il devait se créer ; et, tandis que les Hussites de Prague péroraient sur leurs quatre articles[1], sans trouver en eux-mêmes la force de chasser la reine et les Impériaux, Ziska, appelant à lui, de tous les points, les plus braves et les plus ardents, avait organisé d’emblée un corps d’armée formidable, en même temps qu’un parti audacieux, aveuglément dévoué à son inspiration militaire, et sans cesse inspiré lui-même dans son rêve d’indépendance politique par une liberté d’examen religieux qui ne connaissait pas de limites humaines. Aussi le rocher de Tabor devint-il, comme par magie, le centre de la Bohême. C’était l’autel où le feu sacré ne mourait point ; l’antre d’où sortaient, dans le danger, des légions de sombres archanges ou d’impitoyables démons ; le paradis mystique où, dans les heures de repos, on allait essayer la réalisation d’une vie de communauté et d’égalité parfaite. Ziska, en pillant les monas-

  1. On verra plus tard quelle était cette formule politique et religieuse du juste-milieu hussite.