Page:Sand - L Homme de neige vol 1.djvu/158

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lière énergie. Cristiano, étonné, le comparait intérieurement à un monstre fantastique, moitié crocodile et moitié singe, et il se demandait où était le siège de cette vitalité effrayante dans un corps disloqué, d’une apparence chétive, surmonté d’une tête pointue, aux yeux divergents et à la mobilité insensée.

La conversation du géologue l’aida à résoudre ce problème. Le digne homme n’avait jamais aimé personne, pas même un chien. Toutes choses lui étaient indifférentes en dehors du cercle d’idées où il vivait pour ainsi dire de lui-même, se plaisant, s’admirant, se cajolant, et se nourrissant du parfum de sa propre louange à défaut d’autre chose.

— Voyez-vous, mon cher, disait-il en réponse aux félicitations de Cristiano sur sa magnifique santé, je suis un être que Dieu a fait et ne recommencera pas. Non, je vous jure, il ne le pourra pas ! Je n’ai rien des misères des autres hommes. D’abord, je n’ai jamais connu la grossière et misérable infirmité de l’amour. Je n’ai jamais perdu une minute de ma vie à m’oublier moi-même pour une de ces gentilles poupées dont vous faites des idoles. Une femme de soixante et dix ans ou de dix-huit, c’est absolument la même chose. Quand j’ai faim, si je suis dans une cabane, je mange tout ce que je trouve, et, si je ne