Page:Sand - La Daniella 1.djvu/188

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me dit-on, il ne viendra à Frascati ni seigneurs indigènes ni forestieri, et, sous ce dernier titre, on confond les artistes, les touristes et les malades de tout genre qui cherchent l’air salubre au commencement des grandes chaleurs. En attendant, les villas ne sont habitées que par leurs gardiens, de bons vieux serviteurs qui me confient les clefs des parcs avec une bonne grâce charmante ; ce qui me permet de choisir chaque jour celui qui me plaît, ou de les parcourir tous dans une grande excursion, si j’ai de bonnes jambes.

Quelle douce manière de posséder, n’est-ce pas ? n’avoir rien à surveiller, rien à ordonner, rien à réparer ; quitter quand bon me semblera, sans me soucier de ce que les choses deviendront en mon absence ; revenir de même, sans que personne fasse attention à moi ; jouir sans contrôle et sans contestation de plusieurs Trianons de caractères différents ; me promener en pantoufles dans tous les paysages de Watteau, sans risquer de rencontrer personne à qui je doive mes égards et ma conversation ! Vraiment, je suis trop heureux, et j’ai peur que ce ne soit un rêve. Tout cela à moi, pauvre diable qui ai vécu trois ans à Paris, triste et courbé sous la préoccupation de payer la vue des gouttières et les bottes à tremper dans la boue liquide des rues ! À moi tout cela pour trois francs par jour, sans que j’aie à me tourmenter de cette responsabilité de soi-même, si rigoureuse pour la dignité de l’individu, mais si funeste à la poésie et à l’indépendance, dans les grands centres de civilisation ! Par quelles vertus ai-je mérité d’être gâté à ce point ! Et la Mariuccia, qui plaint ma figure absorbée, mon air nonchalant, et qui regarde avec une maternelle pitié mon mince bagage, et ma bourse plus mince encore !

Cette Mariuccia est un être excellent et divertissant au possible. Elle est rieuse et bavarde comme le ruisseau de son