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Page:Sand - La Daniella 1.djvu/203

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— Non ! C’était si bête de ma part, et il était déjà si laid ! Mais j’avais besoin d’aimer. Il était le premier qui me parlait d’amour comme à une jeune fille, et j’étais lasse d’être une enfant ?

— Fort bien, au moins vous êtes franche. Et… il fut votre amant ?

— Il aurait pu l’être s’il eût su mieux me tromper ; mais j’avais une amie qu’il courtisait en même temps que moi et qui m’en fît la confidence. À nous deux, après avoir bien pleuré ensemble, nous fîmes le serment de le mépriser, de nous moquer de lui ; et, à nous deux, à force de nous faire remarquer l’une à l’autre, par suite d’un reste de jalousie, sa laideur et sa sottise, nous en vînmes à nous guérir si bien de l’aimer, que nous ne pouvions le regarder, ni même parler de lui sans rire.

— Allons, quant à celui-là, je respire ! Et le second ?

— Le second vint beaucoup plus tard. À quelque chose malheur est bon. Le dépit et la confusion d’avoir rêvé à Tartaglia me rendirent plus méfiante et plus patiente. Beaucoup de garçons me firent la cour ; aucun ne me plaisait. Je méprisais les hommes, et, comme cela me posait en fille fière et difficile, ma coquetterie et mon orgueil y trouvaient leur compte. Cela m’ennuyait bien quelquefois, d’être si hautaine ; mais c’était encore heureux pour moi de persister à l’être. N’ayant rien, si je m’étais mariée toute jeune, je serais aujourd’hui dans la misère, avec des enfants, peut-être avec un mari brutal, ivrogne ou paresseux par-dessus le marché.

— Et le second amour ?

— Attendez ! Ce fut lord B***.

— Aie ! moi qui le croyais vertueux !

— Il est vertueux. Il ne m’a jamais fait la cour, et il n’a jamais su qu’il eût pu me la faire.