Page:Sand - La Daniella 1.djvu/213

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chose qui vous fera voir comme on joue ici avec la mort.

Je m’approchai, et je vis dans l’intérieur d’une petite chapelle, une hideuse bouffonnerie : un squelette tombant en poussière était agenouillé dans une attitude suppliante, devant un autel fait d’ossements humains. La croix, les flambeaux, un lustre en roue suspendu à la voûte, étaient composés de tibias, de côtes, de mâchoires et de vertèbres artistement agencés dans l’intention, à la fois lugubre et facétieuse, d’appeler l’attention des passants. C’était un appel à la charité publique, et, dans ce pays de misère, la dévotion trouvait le moyen d’y répondre, car le pavé de la chapelle était littéralement jonché de gros sous.

C’était, en effet, quelque chose de bien caractéristique que ce squelette agenouillé qui représentait, non la prière, mas la mendicité.

— Vous le voyez, me dit Brumières, ici, les morts mêmes tendent la main aux passants.

Nous nous retournâmes pour voir, d’une terrasse ombragée de grands arbres, le lac d’Albano. Pour un lac, c’est bien peu de chose, et, comme les collines environnantes sont sans haute végétation et sans caractère, il me fut impossible de partager l’admiration de mon compagnon. C’est un garçon d’esprit et un artiste intelligent devant les choses d’art ; mais, tout littérateur qu’il est en même temps que peintre, car il écrit des articles très-spirituels pour ce que l’on appelle, à Paris, la petite presse, je crois qu’il n’aime pas la nature, ou, du moins, qu’il ne porte, dans son amour pour elle, aucune délicatesse, aucun discernement. Il l’accepte partout ici telle qu’elle est, comme un écolier ou comme un moine cloîtré accepterait n’importe quelle femme, vieille ou jeune, noire ou blanche. Pourvu qu’il y ait de l’air vif, du ciel bleu, des lignes crues, et surtout des noms et des souvenirs, il croit que le plus pauvre coin de la nature