Page:Sand - La Daniella 1.djvu/40

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copiai tout avec une bonne foi sans pareille ; je comptais presque les feuilles des branches ; je voulais ne rien laisser à l’interprétation, et je perdais, dans le détail, la notion de l’ensemble, sans rendre même le détail, car tout détail est un ensemble par lui-même.

Un jour, mon oncle m’emmena dans un château où je vis enfin de la peinture des maîtres anciens et nouveaux. Mon instinct me poussait vers le paysage. Je restai absorbé devant un Ruysdaël. Je ne le compris pas d’abord. Peu à peu la lumière se fit, et je m’avisai que c’était là une science de toute la vie. Je résolus, dès que je serais indépendant, d’employer ma vie, à moi, selon mes forces, à écrire, avec de la couleur sur de la toile, le rêve de mon âme.

On me prêta de bons dessins ; mon oncle me permit même l’achat d’une boîte d’aquarelle. Il ne s’inquiéta pas de ma monomanie ; mais, quand, parvenu à ma majorité, je lui révélai ma pensée, je le vis bouleversé. Je m’y attendais. Je résistai avec douceur à ses remontrances. Je savais son respect pour la liberté d’autrui, son aversion pour les paroles inutiles, et ce fonds d’insouciance ou d’optimisme qui part d’une grande candeur et d’une sincère bonté.

Vous me demanderez maintenant pourquoi, aux premiers jours de notre connaissance, je vous ai fait mystère d’une chose aussi simple que ma prédilection pour cet art ; la raison est tout aussi simple que le fait : vous m’eussiez demandé à voir mes essais ; je les savais détestables, bien qu’ils eussent fait l’admiration de la Marion et du maître d’école de mon village. Vous m’auriez dit que j’étais insensé, ou si vous ne me l’eussiez pas dit, je l’aurais lu dans vos yeux. Or, je n’ai pas en moi-même une foi assez robuste pour lutter contre les critiques de l’amitié. Celles du premier venu me sont indifférentes. Les vôtres m’eussent fait douter doublement, et c’est bien assez d’avoir à douter seul.