Page:Sand - La Mare au Diable.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

la terre ne l’eût inventé, et qu’aucun chanteur autre qu’un fin laboureur de cette contrée ne saurait le redire. Aux époques de l’année où il n’y a pas d’autre travail et d’autre mouvement dans la campagne que celui du labourage, ce chant si doux et si puissant monte comme une voix de la brise, à laquelle sa tonalité particulière donne une certaine ressemblance. La note finale de chaque phrase, tenue et tremblée avec une longueur et une puissance d’haleine incroyable, monte d’un quart de ton en faussant systématiquement. Cela est sauvage, mais le charme en est indicible, et quand on s’est habitué à l’entendre, on ne conçoit pas qu’un autre chant pût s’élever à ces heures et dans ces lieux-là, sans en déranger l’harmonie.

Il se trouvait donc que j’avais sous les yeux un tableau qui contrastait avec celui d’Holbein, quoique ce fût une scène pareille. Au lieu d’un triste vieillard, un homme jeune et dispos ; au lieu d’un attelage de chevaux efflanqués et harassés, un double quadrige de bœufs robustes et ardents ; au lieu de la mort, un bel enfant ; au lieu d’une image de désespoir et d’une idée de destruction, un spectacle d’énergie et une pensée de bonheur.

C’est alors que le quatrain français


À la sueur de ton visaige, etc.


et le O fortunatos… agricolas de Virgile me revin-