Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/163

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— Qu’en veux-tu faire ?

— Je veux le conserver pour modèle, dit-elle en souriant avec malice, car c’est toi qui l’as fait, et toi seul au monde sais faire les nœuds. Tu y mets le temps, mais quelle perfection ! N’est-ce pas ? ajouta-t-elle en s’adressant à moi et en me montrant ce même nœud cerise que j’avais ramassé la veille, comment le trouvez-vous ?

Le ton dont elle me fit cette question et la manière dont elle agita ce ruban devant mon visage me troublaient un peu. Il me sembla qu’elle désirait me voir m’en emparer, et je fus assez vertueux pour ne pas le faire. La Boccaferri me regardait. Je vis rougir la belle Stella ; elle laissa tomber le nœud et marcha dessus, comme par mégarde, tout en feignant de rire d’autre chose.

Célio était brusque et impérieux avec ses sœurs, quoiqu’il les adorât au fond de l’âme, et qu’il eût pour elles mille tendres sollicitudes. Il avait vu aussi ce singulier petit épisode.— Allons donc, paresseuses ! cria-t-il à Stella et à Béatrice, allez me chercher trente aunes de rubans couleur de feu ! J’attends ! — Et quand elles furent entrées dans le magasin, il ramassa le nœud cerise, et me la donna à la dérobée, en me disant tout bas : — Garde-le en mémoire de Béatrice ; mais si l’une ou l’autre est coquette avec toi, corrige-les et moque-toi d’elles. Je te demande cela comme à un frère.

Les préparatifs durèrent jusqu’au dîner, qui fut assez sérieux. On reprenait de la gravité devant les domestiques, qui portaient le deuil de l’ancien marquis sur leurs habits, faute de le porter dans le cœur. Et d’ailleurs, chacun pensait à son rôle, et M. de Balma disait une chose que j’ai toujours sentie vraie : les idées s’éclaircissent et s’ordonnent durant la satisfaction du premier appétit.

Au reste on mangeait vite et modérément à sa table.