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Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/61

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duchesse, et que j’avais failli faire une lourde école en m’attachant à elle ; mais une âme blessée cherche vite une autre blessure pour effacer celle qui mortifie l’amour-propre, et j’éprouvais un besoin d’aimer qui me donnait la fièvre. Pour la première fois, je n’étais plus le maître absolu de ma volonté ; j’étais impatient du lendemain. Depuis douze heures, j’étais entré dans une nouvelle phase de ma vie, et, ne me reconnaissant plus, je me crus malade.

Je ne l’avais jamais été, ma santé avait fait ma force ; je m’étais développé dans un équilibre inappréciable. J’eus peur en me sentant le pouls légèrement agité. Je sautai à bas de mon lit ; je me regardai dans une glace, et je me mis à rire. Je rallumai ma lampe, je taillai un crayon, je jetai sur un bout de papier les idées qui me vinrent. Je fis une composition qui me plut, quoique ce fût une mauvaise composition. C’était un homme assis entre son bon et son mauvais ange. Le bon ange était distrait et comme pris de sollicitude pour un passant auquel le mauvais ange faisait des agaceries dans le même moment. Entre ces deux anges, le personnage principal délaissé, et ne comptant ni sur l’un ni sur l’autre, regardait en souriant une fleur qui personnifiait pour lui la nature. Cette allégorie n’avait pas le sens commun, mais elle avait une signification pour moi seul. Je me crus vainqueur de mon angoisse ; je me recouchai, je m’assoupis, j’eus le cauchemar : je rêvai que j’égorgeais Célio.

Je quittai mon lit décidément, je m’habillai aux premières lueurs de l’aube ; j’allai faire un tour de promenade sur les remparts, et, quand le soleil fut levé, je gagnai le logis de Célio.

Célio ne s’était pas couché, je le trouvai écrivant des lettres.— Vous n’avez pas dormi, me dit-il, et vous êtes