Aller au contenu

Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/75

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Je la vis donc se jeter dans mes bras à un moment de ma vie où je ne l’aimais point, et où je souffrais à cause d’une autre femme. Il ne me fallut ni courage, ni vertu, ni orgueil pour la repousser d’abord, et pour tenter de la faire renoncer à sa propre perte. J’y mis une énergie qui l’excita d’autant plus à se perdre ; j’aurais été un scélérat, un roué, un ennemi acharné à son désastre, que je n’aurais pas agi autrement pour la pousser à bout et lui faire fouler aux pieds tout souci de sa réputation. Elle crut que je mettais son amour à l’épreuve, et le mien au prix de cette épreuve décisive, éclatante. Cette femme, funeste aux autres, le devint volontairement à elle-même tout d’un coup, au milieu d’une vie d’égoïsme et de calcul. Elle tendit tous les ressorts de sa volonté pour vaincre une aversion qu’elle prenait seulement pour de la méfiance. La crise de son orgueil blessé l’emporta sur les habitudes de sa vanité froide et dédaigneuse. Peut-être aussi s’ennuyait-elle, peut-être voulait-elle connaître les orages d’une passion véritable ou d’une lutte violente.

Ma résistance l’irrita à ce point qu’elle jura de me forcer par un éclat à tomber à ses pieds. Elle chercha à se faire insulter publiquement pour me contraindre à prendre sa défense. Elle vint en plein jour chez moi dans sa voiture ; elle confia son prétendu secret à trois ou quatre amies, femmes du monde, qu’elle choisit les plus indiscrètes possible. Elle laissa tomber son masque en plein bal, au moment où elle s’emparait de mon bras ; enfin elle me poursuivit jusque dans une loge de théâtre où elle se fût montrée à tous les regards, si je n’en fusse sorti précipitamment avec elle.

Cette torture dura huit jours pendant lesquels elle sut multiplier des incidents incroyables. Cette femme indolente et superbe de mollesse était en proie à une activité