Page:Sand - Le Château des désertes - Les Mississipiens, Lévy, 1877.djvu/87

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seigneuriale des Désertes ; mais il me parut qu’on s’en rapportait à la discrétion des habitants de la contrée, car aucune précaution n’était prise pour garantir ce côté faible de la place.

Comme le lieu me parut désert, j’eus quelque tentation d’y pénétrer pour admirer de plus près le tronc des ifs superbes et des pins centenaires dont les groupes formaient, dans cet intérieur, mille paysages aussi vrais, quoique beaucoup mieux composés que ceux de la campagne environnante ; mais je m’abstins prudemment et respectueusement de cette témérité de peintre, en entendant venir vers la terrasse deux femmes qui, vues de près, devinrent deux jeunes demoiselles ravissantes. Je les regardai courir et folâtrer sur la neige, sans qu’elles fissent attention à moi. Quoique enveloppées de manteaux et de fourrures, elles étaient aussi légères que le grand lévrier blanc qui bondissait autour d’elles. L’une me parut en âge d’être mariée ; mais, à son insouciance, on voyait qu’elle ne l’était pas, et même qu’elle n’y songeait point. Elle était grande, mince, blonde, jolie, et, par sa coiffure et ses attitudes, elle me rappelait les nymphes de marbre qui ornaient les jardins du temps de Louis XIV. L’autre paraissait encore une enfant ; sa beauté était merveilleuse, quoique sa taille me parût moins élégante. Je ne sais pas non plus pourquoi je fus ému en la regardant, comme si elle me rappelait une image connue et chère. Cependant il me fut impossible, ce jour-là et plus tard, de trouver de moi-même à qui elle ressemblait.

Ces deux belles demoiselles prenaient ensemble de tels ébats, qu’elles passèrent sans me voir. Elles parlaient italien, mais si vite (et souvent toutes deux ensemble), chaque phrase était d’ailleurs entrecoupée de rires si bruyants et si prolongés, que je ne pus rien saisir qui eût