Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/125

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Tonino ajoutait par la bouche de l’exprès :

— Ne partez pas, je connais les idées et les sentiments de Félicie. Le corps de son frère sera embaumé et conduit par moi dans notre vallée. Qu’elle l’attende. Je ne sais pas encore par quelle route je pourrai le transporter, nous risquerions de nous croiser en chemin.

Félicie écouta ces détails avec un sang-froid effrayant. Elle se les fit répéter plusieurs fois, comme si elle ne les eût pas compris ; puis, se tournant vers moi :

— Nous allons rentrer chez nous, me dit-elle. Envoyez ce courrier devant, pour qu’il nous annonce.

Dès que cet homme nous eut devancés, elle se remit en marche au pas, sans rien dire, sans pleurer, sans témoigner aucun désordre d’esprit, aucune défaillance de volonté. J’étais bouleversé et navré, mais je me taisais, inquiet de Félicie. L’obscurité ne me permettait pas de voir sa figure, et j’avais peine même à me rendre compte de son attitude. Je marchais tout près d’elle, craignant une explosion ou un évanouissement. Le calme apparent où elle était plongée dura près d’un quart d’heure. Tout à coup elle éleva les bras et fit un grand cri, comme si la lune, qui venait de dépasser la crête rocheuse dont nous suivions la base, et qui jeta une vive lumière sur notre chemin, l’eût rappelée à la notion du réel.

— Est-ce que c’est vrai ? s’écria-t-elle en sautant à