Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/127

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que ses jambes la soutenaient à peine. Elle parut vouloir m’obéir ; mais tout à coup elle se jeta sur le sable du chemin en criant :

— Laissez-moi, laissez-moi ici ; vous voyez bien qu’il faut que je pleure !

L’infortunée ne pleura pas. Ses sanglots furent des rugissements dont semblait s’effrayer le lieu sauvage où nous étions. Abrités, enfermés dans deux parois de roches escarpées, nous n’entendions presque plus gronder sous nos pieds le torrent, enfoui à une immense profondeur. La lune avait déjà dépassé l’étroite zone du ciel où elle nous était apparue. Elle n’envoyait plus sur les lianes du ravin que de brusques lueurs, livides comme des lames d’épée. L’horreur de l’abîme était augmentée par l’ombre vague des nuages que le vent chassait devant lui : pas un arbre, pas un buisson, aucun murmure de feuillage. Le vent sifflait aigrement sur nos têtes sans nous effleurer, et le roulement d’un caillou dans le précipice était la seule réponse que cette solitude envoyât aux cris éperdus et stridents de la pauvre Félicie.

La pitié est comme une passion dans les âmes tendres. Dans sa détresse, l’infortunée réveilla en moi, sans le savoir et sans le vouloir, la tendresse ardente que je croyais avoir vaincue. Sa douleur déchira mes entrailles, et, en la voyant se rouler par terre, s’arracher les cheveux, je sentis, à mon propre désespoir, que sa souffrance était mienne et que je l’aimais avec passion. Alors, j’eus de l’énergie, de la ferveur, de