Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/139

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mais mon front sévère l’empêchait de me le dire.

Dans ce tête-à-tête plein d’attraits et de souffrance pour moi au commencement, Félicie apporta une vaillance extraordinaire. Elle prit possession de moi avec une confiance sans bornes, et, se regardant comme ma fiancée, elle me parla de son amour sans réserve et sans trouble. Elle se montra dès lors à moi vraiment grande, car elle fut chaste et hardie en même temps. Elle s’était fait une sorte de prescription religieuse de ne pas songer à elle-même tant qu’elle porterait le deuil de son frère, et, tout en me parlant sans cesse de notre future union, il ne lui arriva pas une seule fois d’y chercher pour elle un rêve de bonheur. Elle n’était occupée que du mien, et elle me conjurait de la rendre capable de le réaliser.

— Je suis trop inférieure à vous, me disait-elle, et je ne voudrais pour rien au monde vous appartenir avant que vous m’ayez élevée autant que possible à votre niveau. J’ai de l’intelligence et de la volonté ; apprenez-moi tout ce que j’ignore, redressez mon jugement, éclaircissez mes idées, faites-moi comprendre tout ce qui vous occupe ; mettez-moi à même de causer avec vous, de m’intéresser à ce qui vous intéresse, de voir clair en vous et en moi-même. Vous m’avez grondée autrefois ; il ne faut plus me faire cette peine-là. Il ne faut pas vous étonner de mon ignorance et de mes travers, il faut me les ôter ; soyez sûr que c’est très-facile.

En effet, c’était en apparence très-facile. Elle ne