Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

n’avait pas encore une seule ride, mon teint brun avait une solidité unie, et mes yeux étaient purs comme ils le sont encore. J’ai toujours eu trop de nez pour être un joli garçon ; mais j’avais une physionomie sympathique, la barbe et les cheveux noirs, l’air ouvert et un franc rire quand je réussissais à oublier mes peines. De plus, j’étais fort et grand, ni gras ni maigre, sans grâce et sans beauté, mais bien planté sur mes jambes comme l’est un ancien fantassin qui est resté bon marcheur et adroit de sa personne. Enfin, tel que j’étais, sans chercher les bonnes fortunes, et même sans y songer, je voyais bien dans le regard des femmes que j’étais encore un homme, et que, pendant quelques années encore, je ne devais pas espérer d’être traité comme un père.

Là se fût pourtant bornée mon humble ambition. J’avais aimé ma femme malgré ses défauts ; elle m’avait toujours rendu malheureux, mais elle m’avait été fidèle ; je ne m’étais donc jamais arrogé le droit, je n’avais même jamais subi la tentation de manquer à mes devoirs de fidélité.

Veuf depuis plusieurs années, j’étais resté austère ; je devais cela à ma fille. Rien ne me servit auprès d’elle, ni les conseils ni l’exemple. Elle prit le mauvais chemin, et, quand elle me força à m’exiler pour ne pas devenir le témoin responsable de ses égarements, il y avait vingt ans et plus que je n’avais connu un jour de bonheur et de liberté.

Mais je n’aspirais pas à être heureux. Il ne me