Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/279

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sur Dieu les notions les plus contradictoires. Nous avons besoin de concevoir sa justice basée sur les mêmes errements que la nôtre, et, s’il l’exerçait à notre manière, nous perdrions tout amour et tout respect pour lui.

Je m’abîmais dans ces méditations douloureuses, et peu à peu la douleur portait ses fruits amers, mais toniques pour les âmes droites. La pitié l’emportait sur l’indignation en ce qui concernait Félicie. Quant à son complice, je devenais de plus en plus dédaigneux et glacé. Sa souriante perversité le dégradait tellement à mes yeux, que je voyais de moins en moins en lui un de mes semblables. Pour Félicie, ce mot des bonnes gens qui apprécient les mérites évanouis me revenait machinalement aux lèvres : « Quel dommage ! » Pour Tonino, en me rappelant tout le passé, je me disais : « Cela devait être ! »

Pour celui-ci, aucun châtiment profitable n’étant admissible, il n’y avait à lui appliquer que les mépris de la répression. Je me rendis chez lui et je lui parlai ainsi :

— Vos discussions d’intérêt avec ma femme me fatiguent et me blessent. Je ne veux pas que son repos soit plus longtemps troublé par vos projets de fortune. Vous lui contestez un remboursement dont j’exigerai qu’elle vous tienne quitte. Vous lui demandez, pour d’autres entreprises, une somme que je vous accorde de sa part ; mais c’est à une condition : vous partirez dès ce soir pour le pays qu’il