Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/29

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chaque année, le torrent de la Brame le couvrait de sable et de graviers. Il eût fallu des travaux d’endiguement dont la dépense était trop considérable pour lui. Il avait l’idée de sacrifier une partie de son terrain pour sauver l’autre, de creuser chez lui un canal par où l’eau s’écoulerait en faisant de sa propriété une île. Les terres retirées du canal et rejetées sur cette île en feraient un mamelon que, dans ses plus fortes crues, le torrent ne pourrait couvrir. L’idée était bonne ; restait à savoir, d’après l’inspection des lieux et la nature du terrain, si elle était réalisable.

Nous traversâmes un col de montagne à travers un glacier, et, à quelques milles au-dessous, nous nous arrêtâmes au flanc d’une belle colline dont une partie appartenait à mon patron. Il y possédait, en outre, un grand chalet richement quoique rustiquement construit, et flanqué de dépendances bien aménagées pour les troupeaux, les récoltes, les abeilles, etc.

À l’aspect de cette belle et pittoresque demeure, située de la façon la plus charmante dans une région tiède et entourée de riches pâturages, j’éprouvai un vif désir de me rendre sérieusement utile à mon ami et de fixer ma vie près de lui.

Comme je lui faisais compliment de son habitation, un nuage passa sur son front.

— Oui, dit-il, c’est une résidence de prince pour un homme comme moi ! On y serait heureux avec une femme et des enfants, et pourtant j’y vis en garçon et n’y demeure qu’en passant. Je vous expli-