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Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/295

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elle et pour mon filleul. Dégagé de ma promesse en ce qui la concernait, je ne me sentais nullement obligé de porter moi-même à Tonino un don qu’il était beaucoup plus sûr et plus facile de lui faire tenir par un banquier.

La chose fut faite comme je la décidais. Tonino reçut le salaire de sa bassesse, et il fut content. Sa femme m’écrivit pour m’annoncer son heureuse arrivée à Venise, son départ pour les terres que Tonino allait affermer, et me dire la reconnaissance qu’elle éprouvait pour moi. Elle n’avait pas réalisé ses projets de fierté, son mari avait dû l’y faire renoncer ; mais elle se vengeait en s’abstenant de nommer Félicie. Je refusai de montrer cette lettre à ma femme ; elle la chercha en vain sur mon bureau, je l’avais brûlée ; Félicie dut se contenter de savoir que l’on était satisfait là-bas. Ce fut un coup de poignard, le dernier. Elle se résigna.

Nous entrâmes alors dans une nouvelle phase d’existence conjugale. La première, jusqu’à la chute de l’épouse, avait été belle et pure. La seconde, leurre odieux pour moi, avait été pour elle un avilissement suivi d’expiation. La troisième, celle de la réhabilitation, commençait pour elle ; qu’allait être pour moi cette entreprise terrible ? Je ne m’étais pas encore demandé si j’aimais toujours ma femme, et à quel point je souffrais de sa trahison. Je n’avais pas voulu m’occuper de moi-même, sentant bien que, le jour où je me laisserais aller à la douleur, je n’aurais plus la