Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/317

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un cri de révolte ou un adieu éperdu. Allait-elle essayer de fuir pour rejoindre Tonino ? Mais Tonino ne voulait plus d’elle, j’en étais sûr. Se faisait-elle illusion sur son dégoût, ou prétendait-elle, par je ne sais quel parti extrême, le forcer encore à jouer la passion pour obtenir qu’elle ne troublât pas le repos de son ménage ?

Je descendis sans bruit l’escalier, et, dans l’obscurité, je m’assis sur la dernière marche, près de sa porte. Elle ne pouvait pas faire un mouvement sans que je l’entendisse. À aucun prix, je ne voulais la laisser courir à sa honte et à sa perte. Chassée par Vanina, abandonnée par Tonino, elle n’aurait plus de refuge que dans le suicide, car je ne me sentais plus le courage de tolérer de nouveaux égarements.

Il me sembla entendre pétiller du feu dans sa cheminée. Je m’avançai sur le balcon, et je vis en effet une raie de fumée sur le ciel clair et constellé. Elle brûlait sans doute des papiers, car nous étions en plein été, et, à moins d’être souffrante, elle ne pouvait avoir besoin de se réchauffer. Une brise qui rabattit un instant cette fumée me fit saisir une odeur âcre qui n’était pas celle du papier, mais plutôt celle du linge brûlé. Je revins près de sa porte, j’entendis qu’elle ouvrait le verrou comme si elle se disposait à sortir. Ne voulant pas que sa fuite, si elle l’avait résolue, reçût le moindre commencement d’exécution, je fis du bruit avec mes pieds pour l’avertir de ma présence, et je lui parlai à travers la porte, encore fermée, pour lui demander si elle était malade.