Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/63

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ne me trompe pas, j’ai voulu cela… » Gardez-moi le secret, monsieur Sylvestre ; elle me battrait, si elle savait que je l’ai trahie.

Je demandai à Tonino s’il craignait réellement sa cousine.

— Pas du tout pour moi, répondit-il naïvement. Quand elle frappe, elle a la main douce ; mais, quand elle a frappé, elle se boude et elle pleure en cachette. C’est pourquoi la peur de lui faire de la peine et de la voir malade me rend sage comme une demoiselle et coulant comme une anguille.

Nous étions à la mi-juillet, nous pouvions entamer les travaux, et nous commençâmes à embaucher des ouvriers. Jean partit pour aller en recruter d’autres et pour faire amener les arbres abattus au Simplon. Il fallait se hâter pour n’être pas surpris par l’hiver au milieu du travail d’endiguement. Je n’avais plus le loisir de la réflexion ; j’étais fixé pour un temps illimité à la Diablerette, c’était le nom significatif de la propriété de mes hôtes, cette oasis jetée au milieu des horreurs de la montagne.

Pendant l’absence de Jean, je surveillai l’ouvrage et j’y travaillai moi-même tout en dirigeant mes ouvriers. Le travail du corps est bon et rend juste et patient avec ceux que l’on commande. On se rend compte par soi-même de ce qu’on peut demander à leur énergie sans en abuser. L’endroit où nous opérions était si enfoncé dans la gorge étroite et surplombante, qu’il y faisait nuit de bonne heure. Je dînais