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Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/84

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— Mais enfin pourquoi l’aimer quand on la sait malheureuse par sa faute ?

— Et vous, Félicie, n’est-ce pas par votre faute que vous avez été malheureuse ?

— Voilà une parole horrible, monsieur Sylvestre ! Quoi ! vous-même qui pardonnez tout, vous me reprochez… ?

— Rien ! vous avez péché par ignorance, vous étiez une enfant. Eh bien, l’humanité est enfant aussi ; c’est l’ignorance qui est la source de toutes ses erreurs et de toutes ses infortunes. Aimez-la pour sa crédulité, pour son aveuglement, pour sa faiblesse, pour son besoin inassouvi d’amour et de bonheur, pour tout ce qui vous donne le droit d’être aimée vous-même.

— Ainsi j’ai le droit d’être aimée ? Voilà ce que je me dis à toute heure et ce qui fait mon tourment, puisque le monde me répond toujours non ! Le monde, si je vous ai bien compris, c’est vous, c’est moi, c’est toute personne qui subit les lois de la société. Eh bien, malgré tout ce que vous venez de dire, supposez que nous soyons jeunes et libres, vous et moi, et que notre idée à tous deux fût de nous marier, ce n’est pas moi que vous choisiriez ! Vous préféreriez, vous qui êtes fier et honnête, une fille vierge sans fortune et même sans éducation et sans intelligence à une fille déchue et déshonorée comme moi.

— Vous vous trompez, Félicie. La chose qui me ferait préférer une fille vierge, ce n’est pas la pureté de sa réputation, c’est celle de son âme. Je m’inquiète