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Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/147

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JENNY. — Oh ! bien certainement, elle n’y tient pas ; mais cela vous eût mis à l’abri du soupçon à tout jamais.

GÉRARD. — Dites-le-lui, Jenny, dites-le-lui aujourd’hui même ! moi, je n’oserais jamais, il me semblerait que je lui fais outrage ! Est-ce qu’on ne m’a pas dit, à moi, qu’elle n’estimait en moi que mon nom et mon titre ? Eh bien ! je ne l’ai jamais cru…

JENNY. — Vrai, vous ne l’avez pas cru un peu ?

GÉRARD. — Quand je l’aurais cru, et quand cela serait, c’est bien peu de chose à offrir à une femme comme elle ; mais si cela peut être du moindre prix à ses yeux, je dois m’estimer heureux d’avoir au moins cette misère à mettre à ses pieds, moi qui voudrais pouvoir y mettre aussi un grand cœur et un grand esprit !

JENNY. — Allons, monsieur Gérard, vous méritez d’inspirer la confiance, et me voilà décidée à vous sauver. Eh bien, tenez, il ne faut pas voir ma maîtresse aujourd’hui ; elle est mal disposée ; laissez passer l’orage. Il ne faut pas non plus voir Myrto, il ne faut pas seulement l’apercevoir.

GÉRARD. — Mais si cette folle s’attache à moi ! Je ne peux pas la battre, je ne peux pas la tuer ! Et cependant… tenez j’ai le sang vif, la tête faible ; il y a des moments où, si je croyais qu’elle osât se présenter ici…

JENNY. — N’ayez pas de ces idées-là et ne perdez pas la tête. Arrangez-vous de manière à ce qu’elle ne puisse pas vous voir, cachez-vous.

GÉRARD. — Mais où donc, puisque je ne puis ni rester ici, d’où l’on me chasse, ni rentrer chez moi, où elle peut toujours venir me trouver ? Je suis sûr qu’elle me guette et que je vais la retrouver en sortant. Je la connais, c’est un démon !

JENNY. — Ah ! monsieur le marquis, voilà ce que c’est que de livrer sa jeunesse à ces femmes-là ! Un moment vient où elles troublent votre repos, et menacent votre bonheur et votre dignité ! Vous pouvez défendre vos femmes légitimes contre tous les hommes, vous ne pouvez pas les garantir de la fureur d’une fille.