Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/39

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RALPH. — La lune est belle, si nous faisions un tour de jardin avant de nous enfermer ? Il n’est que neuf heures.

JACQUES. — Volontiers ! Mais, tenez, il est bien petit, mon jardin, et c’est bientôt fait, le tour de mes carrés de fleurs et de légumes. Ma haie a une entrée dans le parc voisin, qui est fort beau, et où j’ai la permission de me promener à toute heure. Il vous sera plus agréable de regarder la lune à travers la voussure splendide des vieux chênes et dans le miroir des larges bassins qu’à travers mes espaliers et dans le fond de mon puits.

RALPH. — Je ne me déplais nulle part avec vous ; allons où vous voudrez.

(Ils marchent et entrent dans le parc.)




SCÈNE V


Dans le parc


Les Mêmes.

RALPH. — Ce lieu-ci est fort beau, en effet, et voilà pour vous un agréable voisinage.

JACQUES. — Certes, et c’est bien moi qui puis le dire : Voir, c’est avoir. Je puis même ajouter : Jouir est meilleur que posséder, car je profite de ce beau parc et de ce riant jardin qui sont sous ma main, j’admire les eaux et les arbres, je respire les fleurs, je me perds dans de longues allées et dans de longues rêveries, et je n’ai pas la peine de surveiller une propriété, une fortune, une source profonde de soucis, de scrupules de conscience ou d’avidité inquiète.

RALPH. — Le propriétaire de cette riche demeure est votre ami ?

JACQUES. — Nullement. Pendant de longues années, le propriétaire a été absent. Il est mort, et son héritière, sa veuve, est une jeune dame qui y est venue pour la première fois il y a huit jours. Son arrivée m’a un peu contrarié ; je craignais qu’elle ne me retirât le privilége de promenade que je