Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/94

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MYRTO. — Eh bien, et toi, ma petite ? J’allais précisément t’adresser la même question, comme dit Robert Macaire. Est-ce que tu es entretenue par le marquis, à présent ? Est-ce que c’est pour toi que je suis flouée ? Tu es bien assez gentille pour ça. Oh ! comme tu es embellie… Mais il t’habille mal ; tu as l’air d’une femme de chambre !

JENNY. — Je suis une femme de chambre, en effet, et, Dieu merci, je ne suis entretenue que par mon travail.

MYRTO. — Ah ! tu es restée vertueuse ? Eh bien, tu as bien fait, mon enfant. Je ne t’en veux pas pour ça, au contraire ; mais enfin, que fais-tu chez le marquis ?

JENNY. — C’est la première fois que j’y mets les pieds, et c’est en cachette de lui. Je te dirai tout simplement la vérité, Céline… Myrto, comme tu voudras. Je venais savoir qui tu étais, et maintenant je te demande ce que tu comptes faire.

MYRTO. — Ah ! je devine, tu es la soubrette adroite de ma rivale.

JENNY. — Moi, adroite ? Tu vois bien que non, puisque je vais droit au fait.

MYRTO. — C’est vrai ! Oui, je me souviens, tu es une bonne fille, franche comme l’or et d’un cœur excellent. Eh bien, je vais te répondre comme tu m’interroges. J’étais la maîtresse de monsieur Gérard, et je viens l’enlever à la comtesse de Noirac.

JENNY. — Pourquoi veux-tu faire une pareille chose ? Tu n’aimes donc pas monsieur Gérard ?

MYRTO. — Comment ! puisque je suis jalouse, apparemment que je l’aime ?

JENNY. — Mais tu l’aimes pour toi-même, et pas pour lui.

MYRTO. — Pardié !

JENNY. — Tu l’aimes d’une manière égoïste ? Tu as tort !

MYRTO. — Voilà une drôle de fille ! Toujours la même, Jenny ! tu as donc toujours quatorze ans ?

JENNY. — Non, j’en ai dix-neuf. El moi aussi, j’ai aimé, va ! et je me suis sacrifiée au bonheur… au repos, du moins au bien-être de celui que j’aimais.