Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/26

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On a vu que Caroline fut quelque temps partagée entre la crainte de l’abandonner à elle-même et le désir de la sauver par son travail. Il y avait bien un homme riche, pas jeune et peu gracieux, qui songeait à elle comme à une ménagère modèle et qui offrait de l’épouser. Caroline sentit vaguement et peu à peu assez clairement que Camille désirait qu’elle se sacrifiât. Elle prit alors le parti de se sacrifier, mais autrement. Donner sa liberté, son indépendance, son temps, sa vie, elle ne demandait pas mieux ; mais exiger l’immolation de son âme et de sa personne pour procurer un peu plus de bien-être à la famille, c’était trop. Elle pardonna à la mère l’égoïsme de la sœur, et sans paraître l’avoir deviné, elle se décida au parti que nous lui avons vu prendre. Elle laissa Camille dans une pauvre petite maison de campagne louée aux environs de Blois, et partit pour Paris, où nous savons le bon accueil qui lui fut fait par madame de Villemer, dont nous avons maintenant à raconter aussi succinctement l’histoire.

Toute famille a sa plaie, toute fortune sa brèche par où s’écoulent le sang du cœur et la sécurité de l’existence. La noble famille de Villemer avait son ver rongeur dans les folies du fils aîné de la marquise. La marquise avait été mariée en premières noces avec le duc d’Aléria, un Espagnol hautain, un caractère terrible, qui l’avait rendue on ne peut plus malheureuse, mais qui, après cinq ans d’orages, lui avait laissé une assez grande fortune et un fils aimable,