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Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/30

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plète. Je t’assure qu’avec de meilleures manières et un certain air de supériorité, on est généralement ici aussi nul que possible. On n’a plus d’opinions sur rien, on se plaint de tout et on ne sait le remède à rien. On dit du mal de tout le monde et on n’en est pas moins bien avec tout le monde. Il n’y a plus d’indignation, il n’y a que de la médisance. On prédit sans cesse les plus grandes catastrophes, et on vit comme si on jouissait de la plus profonde sécurité. Enfin on est vide et creux comme l’incertitude, comme l’impuissance, et au milieu de ces esprits troublés et de ces convictions usées j’aime cette vieille marquise si franche dans ses antipathies et si noblement inaccessible aux transactions. Il me semble voir un personnage d’un autre siècle, une espèce de duc de Saint-Simon femelle, gardant le respect du rang comme une religion et ne comprenant rien à la puissance de l’argent, contre laquelle on proteste faiblement ou hypocritement autour d’elle.

Quant à moi, d’ailleurs, tu le sais, cela me va beaucoup, le mépris de l’argent ! Nos malheurs ne m’ont pas changée, car je n’appelle pas argent cette chose sacrée, le salaire que je gagne fièrement et même avec un peu d’orgueil dans ce moment-ci. Cela, c’est le devoir, c’est la garantie de l’honneur. Le luxe même, quand il est la continuation ou la récompense d’une vie élevée, ne m’inspire pas ces dédains philosophiques qui cachent toujours un peu d’envie ; mais l’opulence convoitée, cherchée, voulue et achetée à